mercredi 26 novembre 2008

Two Lovers, de James Gray

Un cinéaste américain qui est un cinéaste au sens auteur du terme, et non pas surtout un très bon technicien, c'est rare.
Quoique cette généralité du cinéaste qui passe après la prod et les acteurs d'un film tende à s'appliquer désormais au cinéma français -suffit de voir les daubes bankables ou les derniers films des "anciens nouveaux réasilateurs" type Kassovitz ou Richet.
Un film qui procure fascination pour des personnages interprétés par des acteurs plus que fades et inintéressants, ça tend à disparaître aussi.
James Gray fait partie de ces rares personnes et ce depuis le très bon Little Odessa.
Il y a un an Chabrol le désignait comme LE réalisateur le plus intéressant du moment... C'est vrai.
Two lovers : l'histoire d'un homme bien adulte de visu, Leonard (Joaquin Phoenix) qui travaille dans le pressing de son père et vit aussi chez lui. La scène d'entrée commence par le suicide raté de ce plus que trentenaire bien bizarre, gauche, fils à maman, fragile -on apprend qu'il soufrerait de troubles bipolaires. La mère est jouée par l'ex "plus belle femme du monde", jadis égérie de David Lynch et de Lancôme, Isabella Rossellini, que l'on retrouve, stupéfaction, dans le rôle d'une vielle dame.
Le non-héros voit deux entités féminines entrer dans sa vie comme sur un plateau : Sandra (Vinessa Shaw) une très saine, très lisse et jolie brune, fille d'amis de ses parents, amis qui eux aussi ont une entreprise de teinturie qui va justement fusionner avec celle des dits parents ; et une blonde adulescente Michelle (Gwyneth Paltrow) qui surgit dans sa vie plate et morne comme une balle qui viendrait éxploser la vitre de son isolement.
La brune est fort courtisée, russo-juive comme lui, leur rencontre est arrangée comme au 19e siècle. Ceci dit elle l'aime vraiment, pour ce qu'il est, peut être parce qu'il ne s'intéresse pas spontanément à elle. La blonde, elle, vit en vis à vis de sa fenêtre, elle est plurielle, mystérieuse, ado attardée à 30 ans passés et instable comme lui. Elle s'accroche à lui mais d'une autre manière : elle l'adoube meilleur ami ainsi qu'ange gardien. L'histoire, filmée par un faiseur, ne donnerait rien. Mais james Gray infuse au spectateur tout le désespoir et le beauté du monde, créant des plans qui font toute la différence, utilisant sa caméra comme un pinceau ou un style, dirigeant ses acteurs de sorte à donner une chair réelle aux personnages et notamment à l'univers mental du protagoniste principal. Les musiques du film, car il y en a plusieurs, collent à chacune des scènes, les poussant à leur extrémités.
On découvre un milieu d'immigrés juif de l'est où l'on entre comme une petite souris qui verrait tout, un New York à deux faces : l'un, plutôt pauvre et morne de Brighton Beach, l'autre de happy fews argentés, de cabinets d'avocats, d'opéra, de restaus branchés. On tombe amoureux de l'ordinairement transparente Gwyneth Paltrow au détriment de la très belle Vinessa Shaw. On sent l'indicible des sentiments qui saigne le coeur à vif, la complexité d'un homme tour à tour risible ou si plein de prestance. On pense confusément à Visconti, on note que l'histoire est intemporelle et l'on apprend, après coup, que l'histoire est tirée des Nuits blanches de Dostoïevski, jadis adaptées par Luchino Visconti.
Visuellement magnifique et marqué de la signature de Gray, le film montre ou plutôt fait sentir au plus profond de soi le dilemme entre la passion qui ne laisse pas intact et la difficulté de vivre en société, de vivre tout court, l'abnégation dont on doit parfois faire preuve pour échapper aux gouffres que l'on se crée de trop d'authenticité et de non préservation. Passion mortelle ou félicité de compromission ? Il faut choisir, nous dit l'auteur.

1 commentaire:

Fred a dit…

Le film reçoit une critique presse très sympathique, et cependant, ce film entre dans la catégorie des films qui ne laisseront pas forcément sensible; ma critique est certes injuste et tronquée, j'ai vu des bouts de ce film entrecoupé de siestes déconnectantes, dues à un état de fatigue prononcé. Cependant, les scènes qui m'ont été données à voir ne m'ont rien signifié, et ne m'ont pas extirpé des profondeurs de mes rêveries. L'histoire ne donnerait certainement rien dit Emilie, si filmé par un autre. Les rencontres façon plateau repas, l'apparente simplicité des rapports, la cicatrice dérangeante de Joachim Phoenix, l'image assez crue, valent peut être, mais pour plus de légitimité il eut fallut que je ne m'endormasse point , quelques réserves.
A revoir pour moi en tout cas.